Entrevistas

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18-Sep-18
Culture Juste
Culture Juste

Enretien realisé par:  Carolina Ullilen Marcila, Consultante et enseignant en Ergonomie dans l'Université Nationale d'Ingénierie (Pérou)

Dans la plupart des cas, la cause d'un accident est attribuée au facteur humain, en sanctionnant le travailleur sans remettre en question son origine et sans tirer de véritable leçon d'apprentissage. L'accident peut arriver à n'importe quel travailleur et une sanction telle que le licenciement peut vous faire sentir coupable ou responsable. Si une évaluation est mise en place et s’il est démontré qu'il n'y a pas de responsabilité du travailleur, cette expérience négative peut affecter son performance au futur, en ayant un impact sur la productivité de l'entreprise.

Spécialiste: François Daniellou était professeur d’ergonomie à l’Université de Bordeaux (France). Il est maintenant directeur scientifique de l’Institut pour une culture de sécurité industrielle (ICSI, association qui regroupe les entreprises à risques, les syndicats de salariés, des collectivités territoriales, des associations, et des centres d’enseignement et de recherche) et de la Fondation pour une culture de sécurité industrielle (FonCSI, fondation de recherche d’intérêt public).

F. Daniellou

(image www.icsi-eu.org)

Comme disait James Reason, l’erreur humaine est une conséquence et non une cause. Une analyse d’un événement ne devrait jamais s’arrêter lorsque l’on a trouvé une « erreur humaine ». Tous les êtres humains commettent des erreurs. Est-ce que la situation de travail augmentait la probabilité d’en commettre une ? Comment l’organisation gérait-elle la possibilité qu’une erreur soit commise, pour en limiter les conséquences ? Ce sont bien souvent les mêmes écarts au prescrit qui permettent la réalisation du travail, en général en sécurité, et qui, de façon rare, conduisent à un accident. Avait-on détecté que pour pouvoir travailler de façon efficace, il fallait souvent s’écarter du prescrit ?

1. Pouvez–vous nous expliquer en quoi consiste la culture juste et si celle-ci est comprise par la haute direction?

Il faut distinguer une erreur et une violation. Une erreur est toujours involontaire. Si l’on sanctionne l’erreur isolée d’un travailleur, la seule conséquence sera que les erreurs seront cachées et que leurs conséquences s’accumuleront « sous le tapis ».

Une violation est le fait d’enfreindre une règle en connaissance de cause. Mais parfois, la violation s’explique par d’autres contraintes de production (par exemple les délais), ou par la contradiction entre plusieurs règles.

L’idée de culture juste repose sur trois composantes :

  • D’abord, fixer clairement la « ligne rouge ». Dans certaines entreprises, il y a des milliers de règles, qui n’ont pas toutes la même importance, et qui peuvent être contradictoires entre elles. Certaines entreprises s’engagent dans une démarche de « règles d’or », pour distinguer un petit nombre de règles (moins de 10), qui ont un statut particulier : si elles sont appliquées strictement, elles sauvent des vies. On peut citer par exemple le fait de consigner une installation électrique avant d’intervenir dessus, le fait de prendre des précautions particulières lorsqu’on travaille en hauteur, etc. Si la démarche est bien conduite, ces règles d’or doivent pouvoir être appliquées dans tous les cas. Elles sont doublement opposables : on peut exiger que les travailleurs les respectent, mais on doit accepter qu’un travailleur refuse de faire une opération s’il n’est pas possible de respecter une règle d’or.
  • La deuxième composante d’une culture juste est de reconnaître les contributions positives à la sécurité. Le travail quotidien assure dans l’immense majorité des cas la sécurité, et cette contribution est trop peu reconnue. Cette reconnaissance peut aller de simples remerciements par le manager de proximité, à une reconnaissance formelle par le top management dans le cas de contributions exceptionnelles.
  • Enfin, la culture juste suppose que la réaction du management face à un écart soit prévisible (qu’elle ne dépende pas du manager, du salarié concerné, etc.). Il faut donc que chaque entreprise se dote d’une liste de questions que les managers doivent se poser avant de décider d’une éventuelle sanction : l’écart était-il volontaire ? la règle était-elle connue ? applicable ? Y avait-il des injonctions contradictoires ? l’écart visait-il l’intérêt personnel du salarié ou l’intérêt de la production ? Etait-ce la première fois que le salarié commettait cette erreur ? Quelqu’un d’autre à sa place se serait-il sans doute trompé aussi ? Etc. Lorsque ces questions sont strictement appliquées, les sanctions deviennent très rares (écart volontaire avec intention de nuire, manquement répété après plusieurs rappels à l’ordre…).

2. Selon votre expérience. Quel est le plus grand obstacle à la prévention des accidents du travail et que le comportement de sanction ne prédomine pas dans l'entreprise?

L’entreprise doit d’abord construire sa politique de sécurité pour éviter les accidents les plus graves (mortels ou très graves). Or les accidents graves ont en général des origines non seulement individuelles, mais organisationnelles (absence, mauvaise conception ou mauvais état des barrières assurant la sécurité). Le fait de piloter la sécurité à partir d’indicateurs comme le taux de fréquence aboutit à mettre l’accent sur les accidents les plus fréquents, qui sont aussi les plus bénins, et à les traiter en termes de comportement individuel. Mais l’on a de nombreux exemples d’entreprises avec un bon taux de fréquence qui ont des accidents très graves (accidents mortels, explosions…) : le taux de fréquence n’est pas un indicateur de l’état de préparation de l’entreprise par rapport à ce qui pourrait arriver de pire. Il faut au contraire s’intéresser systématiquement aux « événements à haut potentiel de gravité » (à la fin il n’y a pas eu d’accident, mais on est passé très près), pour analyser leurs causes profondes et prévenir leur répétition.

3. Quelles recommandations nous devons prendre en compte pour éviter que les gens ne fassent d’erreurs car ils sont généralement soumis à des exigences de performance de plus en plus élevées?

Tous les êtres humains commettent des erreurs, cela a été très bien démontré dans l’aéronautique. Ce que l’on peut faire, c’est :

  • Eviter que la situation de travail augmente la probabilité des erreurs (par exemple, quand des dispositifs ou des consignes sont ambigus) ; éviter les injonctions contradictoires entre productivité et sécurité ;
  • Concevoir les dispositifs pour qu’une erreur puisse être corrigée (fonction « annuler » dans un logiciel) ;
  • Organiser les vérifications croisées (entre travailleurs) et la vigilance partagée ;
  • Analyser avec bienveillance les erreurs commises pour comprendre leurs causes et mettre en place des parades.

4. Dans les organisations caractérisées par avoir un management descendante dans laquelle elles ne se limitent qu’à baisser des règles et des normes, comment pouvons-nous impliquer des décideurs qui manifestent un désintérêt, dans la plupart des cas, à connaître la réalité des conditions de travail particulières?

Il ya deux grands enjeux :

  • La présence sur le terrain du management supérieur, non pas pour contrôler ou conduire des audits, mais pour observer, écouter, apprendre et connaître la réalité du travail. Cette présence peut être formalisée (par exemple, une fois par semaine) ;
  • Les marges de manœuvre qui sont données à l’encadrement de proximité pour favoriser le travail de leur équipe en sécurité, et la possibilité pour eux d’être écoutés par leur propre hiérarchie quand ils rencontrent des situations qu’ils n’ont pas les moyens de traiter seuls. Tout manager doit recevoir de sa propre hiérarchie la même qualité d’écoute que celle qu’on lui demande d’avoir avec son équipe.

5. Comment les organisations devraient concevoir des espaces qui favorisent les échanges de connaissances et d'expériences entre les travailleurs et les cadres afin de mieux identifier les causes des accidents et prévenir leur récurrence?

La possibilité pour les travailleurs d’avoir des espaces pour débattre du travail bien fait en sécurité est un enjeu essentiel :

  • Ces espaces de débat sur le travail doivent être organisés au sein des équipes, de façon régulière, pour discuter de situations difficiles ou à risques. Ils permettent de partager les connaissances entre professionnels, contribuent à la formation des moins expérimentés, et favorisent la résolution des problèmes et le développement de règles de métier plus sûres ;
  • Ces débats sur le travail peuvent aussi être organisés à l’interface entre plusieurs services (par exemple entre production et maintenance). Ils permettent une meilleure connaissance des contraintes de l’autre, et la construction conjointe de réponses aux difficultés rencontrées aux interfaces.

Pour aller plus loin: 

https://www.icsi-eu.org/es/, le site de l’Icsi en espagnol. On y trouve notamment de nombreuses publications en téléchargement gratuit, et notamment Lo Esencial de la cultura de seguridad,

https://www.icsi-eu.org/documents/208/icsi_esencial_01_cultura_seguridad_esp.pdf

et Los Cuadernos de la Seguridad Industrial :

 

El Icsi tiene una sucursal Latam, basada en Buenos Aires. Cualquier contacto: Diego.Turjanski@icsi-eu.org

Imagen de portada: https://cllegal.co.uk/accidents-at-work/

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